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Marc Grosser : « il faut capitaliser sur les enseignements de la crise et préparer le « nouveau normal »»

16 juin 2021

Comment rebondir en cette période post-crise ? La question est vertigineuse tant les chantiers semblent innombrables et l’avenir encore incertain. Marc Grosser qui a notamment dirigé les pôles RH d’Auchan et de Danone nous confie sa vision plutôt optimiste de la période. Il préconise de prendre le temps du bilan et de jouer la carte du participatif. Il est l’invité de notre blog.

Marc, qui êtes-vous et qu’est-ce qui vous motive ?

J’ai 53 ans et bientôt 30 ans d’expérience professionnelle. Huit ans dans le consulting, puis DRH dans différents environnements : télécoms, retail et industrie agroalimentaire. J’ai eu souvent en charge les sujets people, organisation et RSE, avec la responsabilité d’assurer l’accompagnement collectif des transformations dans leurs dimensions sociale et managériale. En ayant toujours bien en tête l’équilibre des polarités entre économique et social, court terme et moyen terme, individuel et collectif, le cadre et l’initiative.
Ce qui me motive c’est de conduire ces transformations en utilisant différents leviers qui peuvent être la culture, les organisations, les talents et évidemment, le sens. Trouver le bon équilibre entre ces polarités différentes. Donc, ne pas être le champion d’un seul sujet, mais plutôt celui qui va trouver le bon curseur, selon le moment, le projet, et le contexte.

La première édition du Cercle RH avait pour thème : « Les enjeux post-crise et comment en sortir ? ». Quels constats faites-vous sur la question ?

J’ai constaté un alignement des participants sur la question. Avec un premier enjeu qui est de « renouer les liens » après toute cette période en distanciel, de préparer les nouvelles modalités de travail et de redonner du sens à des activités dont on s’est parfois un peu éloigné pour faire face à l’urgence. Le tout dans un rapport au travail qui a pas mal bougé sur la période. Pour moi, la première des priorités c’est de voir comment on va travailler dans cet environnement post-crise.

Le deuxième enjeu clé est de voir comment les managers retrouvent leur place. On leur a d’abord demandé beaucoup, notamment lors du premier confinement. Mais dans de nombreux cas, les dirigeants sont intervenus directement auprès des collaborateurs pour expliquer la situation et les actions menées, et c’était nécessaire. Mais les managers ont pu se sentir un peu mis sur la touche en termes de transmission d’informations. La question : comment leur redonner pleinement leur rôle de courroie de transmission et d’accompagnement ?

« Il faut aider et écouter les managers parce qu’ils vont avoir davantage de complexité à gérer, et ce, d’autant plus que la fatigue se fait sentir »

Un objectif d’autant plus délicat que les collaborateurs attendent de plus en plus d’individualisation au regard de leur situation personnelle. Certains souhaitent retourner à plein temps au bureau, alors qu’à l’inverse, d’autres voudraient rester 4 jours par semaine en télétravail. Dans ce cadre, comment assurer un traitement collectif sans tomber dans une approche « à la carte », qui peut nuire à la cohérence, voire à l’équité ? Il faut donc aider et écouter les managers parce qu’ils vont avoir davantage de complexité gérer, et ce, d’autant plus que la fatigue se fait sentir après cette longue période de distanciel.

Dernier enjeu clé, voir jusqu’à quel point le business model de l’entreprise a été touché ou pas par la crise, avec des conséquences sur les modes de travail et de fonctionnement : il y a forcément des choses qui ont changé. Il faut être capable de réaliser un vrai diagnostic sur ce qui a changé profondément et ce qui est plus ponctuel et reviendra à une forme de normale après la crise. En bref, faire le bilan de l’impact de cet événement exceptionnel sur les manières de fonctionner.

Dans ce contexte post-crise où le distanciel a marqué les esprits et les habitudes de travail, comment recréer du lien ? Comment renouveler l’expérience collaborateur ?

Ce qui va être important pour renouer ce lien c’est de ne pas faire comme si cet événement n’avait pas existé. Donc oui, faire le point sur ce que ça a changé et évaluer en quoi le projet d’entreprise est impacté par ce qui s’est passé. Ce bilan doit permettre de redonner du sens à un niveau suffisamment stratégique, plutôt que de reprendre comme si de rien n’était.

Et ce bilan doit être fait de manière participative pour entendre les réactions des équipes sur leur vision de ce qui a changé. Comprendre ce qu’elles ont elles-mêmes perçu en tant que salariés, ce qu’elles ont vu des consommateurs ou dans leur vie personnelle. Faire ce bilan partagé est intéressant parce que ça ne laisse pas l’impression que la direction est seule à prendre les décisions. Et je crois que ce moment de dialogue est essentiel pour ne pas rester dans la sidération de ce qui nous est arrivé.

Enfin, solliciter pour savoir ce qui a fonctionné ou a plu dans ce « mode crise ». Définir ce qu’on veut conserver, ce qui est faisable pour tous ou ne marche que pour certains, etc.

Côté managers, comment cette période particulière a-t-elle été vécue ? À quels enjeux doivent-ils répondre et quelles sont leurs options ?

De ce que j’ai vu, les managers n’ont jamais été aussi proches de leurs équipes. C’est-à-dire qu’on a tellement insisté sur les risques de solitude ou d’éloignement, qu’une attention plus prononcée a été portée aux collaborateurs. Je me souviens encore en décembre ou janvier dernier de managers qui tous les jours organisaient un point d’équipe alors qu’ils n’en faisaient pas auparavant. Il y a des rituels qui ont été posés pour s’assurer qu’on ne perdait personne en route, et un travail très fort pour garder tout le monde à bord, donner le plus d’éléments possible, s’assurer que les gens vont bien… On a parfois même fait plus attention que lorsque l’on était au bureau.

« Je pense que la période a finalement fait progresser le management. Ça a permis de revenir sur ces basiques qu’on avait tendance à oublier lorsque l’on était les uns aux côtés des autres. »

Ils ont aussi été beaucoup plus centrés sur le contenu du travail. Il y a eu un vrai effort de structuration : dans le dispatch du travail, de clarté dans les priorités, dans le suivi des actions et dans les moyens donnés. Je pense que la période a finalement permis de faire progresser le management, et notamment de revenir sur ces basiques qu’on avait tendance à oublier lorsque l’on était les uns aux côtés des autres.

Est-ce qu’il n’y a pas une nouvelle proximité qui s’est recréée avec la distance ? Ce moment est intéressant, car c’est peut-être l’opportunité de capitaliser sur ces pratiques managériales en quelque sorte retrouvées. On est revenu à certains fondamentaux. On est revenu sur du « comment je peux t’aider ? ». Je suis plutôt optimiste sur le fait qu’on puisse revenir à ces choses essentielles.

Quelles sont les clés de succès de cette sortie de crise selon vous ?

Je pense que c’est risqué de ne pas se poser la question de savoir en quoi cette crise a changé quelque chose dans le projet stratégique et dans la manière d’opérer. et de vouloir repartir comme avant. Mais plus encore, il est important de quitter le « mode crise ». Ce dernier doit aussi avoir une fin. Il faut avoir conscience que si des initiatives intéressantes ont émergé, elles ne sont pas toutes tenables dans la durée, car elles s’inscrivent dans un sur-effort lié à la situation de crise. Ce serait incompréhensible de continuer à travailler comme cela pendant des années.

« Si des initiatives intéressantes ont émergé, elles ne sont pas toutes tenables dans la durée, car elles s’inscrivent dans un sur-effort lié à la situation de crise »

Aussi, les gens sont fatigués d’avoir travaillé dans ces conditions-là, d’avoir mis entre parenthèses leur vie sociale… Ils ont beaucoup donné, et les attentes sont très fortes. Pour rebondir, il faut qu’on puisse remettre du plaisir dans le travail et y retrouver du sens. Ce sera probablement difficile, car ce qui s’annonce c’est que tout risque de repartir au quart de tour.

Quelles sont les perspectives de changement pour les modes de travail selon vous ?

Le « mode crise » a permis de débloquer ou d’accélérer la prise en compte de certains sujets : la simplification des process et des modes de décision, la possibilité de développer la polyvalence, l’efficacité des réunions, le fait de rechercher « l’imparfait efficace », l’initiative laissée au terrain dans un cadre global clair centré sur peu de priorités, le basculement en tout distanciel pour le Learning…

Il faut maintenant poser le cadre qui permettra de pérenniser les avancées, par exemple pour organiser la polyvalence, structurer l’alternance travail à distance / travail sur site, poursuivre la simplification des process…Mais il faut également retrouver ce que la crise a mis entre parenthèses pendant plusieurs mois : la prise de hauteur et de recul, le temps pour le véritable alignement, l’informel qui fait gagner du temps et de la compréhension réciproque.

Mais la vraie question reste de savoir si on va réussir à résister à l’envie de repartir au quart de tour comme avant. Pour prendre le temps d’un vrai bilan, pour poser un nouveau cadre, et opérer dans un « nouveau normal ».

Propos recueillis par overthemoon à l’issue de la première édition du Cercle RH.

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