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« La crise covid a permis de dépoussiérer les idées au sujet du télétravail »

27 septembre 2021

C’est la rentrée 2021, le retour au bureau est dans tous les esprits. L’occasion d’éprouver les effets de l’approche hybride comme jamais auparavant. Et de se poser les bonnes questions avec Anne-Laure Pajou, DRH chez Volvo Financial services, qui partage avec nous son expérience de la transition vers le télétravail et son point de vue sur les pistes qui restent à explorer.

Anne-Laure, qui êtes-vous et qu’est-ce qui vous motive ?

Je suis DRH au sein de l’entité Volvo Financial Services (VFS). Nous proposons à nos clients qui s’équipent de poids lourds et de véhicules de chantier de les aider sur la partie financière, en proposant du crédit-bail (équivalent de la Location avec Option Achat), de la location financière, et en permettant à un client d’avoir une seule facture et un seul interlocuteur pour son financement, ses assurances et sa maintenance. J’ai débuté dans le domaine des achats pour Valeo puis pour Renault Trucks il y a 16 ans. J’ai réalisé que j’étais très intéressée par l’accueil des jeunes dans l’entreprise, stagiaires ou alternants. De plus, ma posture auprès de mes équipes a toujours été celle d’un coach plutôt que celle d’un manager.

Ça a été pour moi la suite logique que de devenir responsable recrutement et campus pour le groupe Volvo. Après 5 ans à cette fonction j’ai rejoint l’entité Volvo Financial Services pour élargir mon champ de compétences dans les ressources humaines. Ce qui me fait me lever le matin c’est de découvrir sans cesse, sortir de ma zone de confort, apprendre, créer. Je suis DRH d’une nouvelle région – Europe Sud et Ouest – au sein de VFS depuis ce début d’année. Il y a donc beaucoup à construire en termes de culture, d’appartenance, d’engagement des salariés… Ce qui m’anime c’est ça, le fait de créer, d’oser, on est vraiment en mode « test and learn » comme on dit en anglais.

Vous aviez déjà expérimenté le télétravail au sein du groupe bien avant la crise covid. Qu’est-ce qui a changé pendant cette période particulière ?

Quand je suis arrivée il y a 16 ans, nous avions déjà un outil pour faire du télétravail. Le groupe Volvo est suédois, c’est ancré dans leur culture. Le travail à distance a toujours été facilité chez nous. Ce qui a vraiment changé c’est le fait qu’on soit passé d’un seul coup à 100% de télétravail. En tant que manager ce qui a été nouveau c’est de devoir programmer des moments d’échanges informels. Jusque-là nous savions que l’on se retrouvait tous les vendredis matin autour d’un café. À partir de la crise covid, il a fallu l’organiser. Organiser l’informel peut paraître paradoxal, mais c’était indispensable, car on ne se voyait plus.

Avoir de nouveau ces moments en digital nous permettait de maintenir la cohésion et l’engagement au sein de l’équipe. Et pour les managers je crois que c’était aussi l’opportunité de prêter plus attention à des microsignes révélant des difficultés. Les salariés n’ont pas disposé des mêmes conditions de télétravail selon leur structure familiale ou la taille de leur appartement par exemple. Et puis au départ tout le monde n’a pas été en télétravail. Des salariés ont été en chômage partiel et même à 100% dans certains cas. Dans ce cadre, les managers ont par exemple pris l’initiative de créer un moment d’échange particulier le vendredi pour pouvoir maintenir le lien.

« Je crois que le plus important dans cette démarche était la régularité de ces communications, pour garder le lien »

Les managers ont par exemple utilisé Whatsapp pour pouvoir continuer à échanger avec leurs équipes. Pour informer d’abord, l’entreprise a continué à délivrer des informations régulièrement durant cette période. Mais également pour des moments plus informels : partager son quotidien, ses éventuelles difficultés à la maison… L’entreprise a également mis en place un site web accessible à tous via son smartphone personnel. Il n’était pas nécessaire d’ouvrir son ordinateur professionnel pour s’y connecter. C’était parfois des micro-informations, mais je crois que le plus important dans cette démarche était la régularité de ces communications, pour garder le lien. On a également mis en place une ligne téléphonique d’assistance avec des psychologues présents pour pouvoir répondre aux sollicitations et définir s’il y avait besoin d’accompagnement complémentaire ou pas.

Quels ont été les challenges ou difficultés rencontrés lors de cette période ? Au sein de votre groupe ou plus largement dans le secteur automobile ?

Nous avions décidé de mettre en place les outils Microsoft 365 avant la crise covid. Pour autant nous n’avions pas eu le temps de tous nous les approprier. La crise a accéléré notre apprentissage de Teams, qui était déjà présent et implémenté chez nous, mais à ce moment-là, nous n’avions pas encore pleinement intégré son utilisation. Il a donc fallu accompagner certains collaborateurs pour faciliter l’adoption et définir quelques règles d’usage : enclencher sa caméra pour être vu, proposer des icebreakers pour plus de convivialité et dédramatiser la situation. Si certains avaient l’habitude de le faire en présentiel, savoir manier un peu plus les outils permettait de prolonger ces habitudes dans le digital.

« Nous avons eu un double enjeu : des personnes revenues à 100% sur les sites de production et des cadres en chômage partiel ou total »

Au niveau du secteur automobile au sens large, il y a eu arrêt des usines au départ, mais il a rapidement fallu reprendre, car l’activité des sites marchands en ligne a explosé. Les camions devaient reprendre la route avec tous les risques attenants. Comment organiser cela en termes de santé et faire que les salariés se sentent en sécurité ? Parallèlement, nos clients nous ont sollicités pour des produits neufs. Nous avons eu un double enjeu : des personnes revenues à 100% sur les sites de production et des cadres en chômage partiel ou total.

Nous étions également dans une phase très positive de recrutement avant covid. CDD, CDI, alternants comme stagiaires. Nous avons dû tout stopper ne sachant plus quel volume d’affaires nous allions avoir. Parallèlement, nous avons lancé un projet de réorganisation concernant les parties bureau d’études, fonctions commerciales et achats. Ça a impliqué un effort supplémentaire des managers – on dit souvent qu’ils sont les premiers RH – pour pouvoir l’expliquer à leurs équipes, le tout en virtuel et sans rapports quotidiens. Il fallait donner tous les éléments pour comprendre que c’était nécessaire pour la survie de l’entreprise. Certains ont vu dans le plan de départ que nous proposions une opportunité de se lancer et créer leur propre entreprise, ou encore de reprendre une formation.

Dans ce nouvel environnement hybride (télétravail + présentiel), quelles compétences ou capacités feront la différence ? Votre vision du travail de demain ?

L’intelligence de situation je dirais, pour s’écarter du terme un peu galvaudé d’intelligence émotionnelle. Pour un manager par exemple, prendre la mesure des microsignes d’un salarié qui connaît des difficultés n’était déjà pas évident en physique. C’est d’autant plus le cas en virtuel. Dans ce nouvel environnement hybride et pour mieux les aider dans ce rôle clé qui permet de soutenir l’engagement des salariés, mettre en place des règles précises est utile. Établir une réunion qui rassemble toute l’équipe au moins une fois par mois par exemple. Le mot « règles » paraît un peu strict, mais on peut les construire ensemble ! Se mettre à la place des autres, aussi, peut-être plus encore qu’avant. Et capter ces microsignaux qui vont faire que l’équipe va mieux fonctionner.

« C’est ce qu’on demande aux salariés, d’être finalement acteurs de leur formation et de leur développement en continu »

Sur la formation, les salariés préféraient jusque-là apprendre « en salle ». La crise a changé la donne et on a développé des modules en ligne de longueurs variables qui permettent à chacun d’aller chercher ce qui peut lui manquer. C’est ce qu’on demande aux salariés, d’être finalement acteurs de leur formation et de leur développement en continu. On parle beaucoup d’entreprise apprenante aujourd’hui. Le manager qui regardait par-dessus l’épaule pour voir si tout se passe bien et proposait les formations qui allaient bien, c’est fini. Le rapport s’est inversé, c’est le salarié qui va voir les formations qui l’intéressent parce qu’il pense qu’il lui manque quelque chose. Et puis dans cet environnement hybride, travailler vraiment par objectifs et plus en micromanagement. Se dire « j’ai rempli mes objectifs, c’est bon, je peux me permettre de prendre une demi-heure pour suivre une formation ».

En tant que DRH, qu’est ce que cela a changé pour vous ? Dans vos rapports aux équipes ?

La période a vraiment été un accélérateur en faveur du télétravail. Nous sommes un groupe suédois, certes, mais implanté en France avec la culture qui va avec. Certains managers étaient réticents sur le télétravail au départ. L’expérience nous a prouvé concrètement que l’on n’a jamais été aussi performants qu’avec 100% de télétravail. La preuve par l’essai fonctionne toujours mieux que lorsque l’on tente d’argumenter sans parvenir à convaincre. On va garder ce cap.

« La preuve par l’essai fonctionne toujours mieux que lorsque l’on tente d’argumenter sans parvenir à convaincre »

Dans le rapport avec les équipes, l’enjeu est de voir comment préserver la cohésion, l’engagement et aussi la culture d’entreprise. Pour les personnes arrivées il y a un an ou un peu plus, je ne suis pas certaine qu’elles auraient le même niveau d’engagement si elles avaient été à 100% en présentiel. C’est un point sur lequel on souhaite encore travailler. Même si on a créé des opportunités, des temps d’échange en digital et autres, ce n’est pas aussi naturel que lorsque l’on se voit et qu’on échange autour de la machine à café. Et le fait du retour partiel en présentiel via le mode hybride, va nous y aider. Se dire que quand on est présent sur site, on fait moins de réunions Teams et on privilégie des échanges en face à face avec les personnes présentes pour recréer de la cohésion.

« J’ai demandé à ce que chacun de nos salariés puisse avoir un plan de développement personnel d’ici la fin de l’année. Ça peut paraître un peu drastique, mais c’est important que l’on prenne en compte leurs desiderata »

Dans mon entité concrètement, faire un séminaire tous ensemble contribuerait encore plus à l’engagement. Le covid nous a appris énormément de choses sur nous-mêmes, notre façon de fonctionner et notre pouvoir de résilience… Je pense qu’il faut faire perdurer ça. Par exemple j’ai demandé à ce que chacun de nos salariés puisse avoir un plan de développement personnel d’ici la fin de l’année. Ça peut paraître un peu drastique, mais c’est important que l’on prenne en compte leurs desiderata : se former, découvrir de nouveaux métiers, etc. Identifier comment les personnes veulent évoluer à leur poste et voir comment on peut les y accompagner.

Le fait que le télétravail soit aussi devenu la norme aide beaucoup en termes de bien-être. Les gens s’organisent par eux-mêmes, dans un mode un peu plus créatif qu’opérationnel. Ce qui leur permet aussi d’organiser leur vie personnelle de manière beaucoup plus naturelle là où avant ils se sentaient redevables de leur manager, pour partir plus tôt par exemple.

Et au sein du CODIR ?

La crise covid a permis de dépoussiérer les idées au sujet du télétravail et de développer la confiance aux équipes dans ce domaine. On n’a plus besoin de convaincre sur le sujet. Je crois que ce qui a changé c’est le fait que l’on ne soit plus dans un mode réactif. Le télétravail est devenu la norme donc la question est de savoir comment l’organiser. À mon sens, ce n’est pas encore tout à fait structuré. Il y a encore du travail à faire pour que cela soit optimum.

Et puis j’insiste sur ce point, ne pas se concentrer uniquement sur les objectifs professionnels, mais bien prendre en considération la dimension personnelle. C’est mieux entendu aujourd’hui côté CODIR. Reste à envisager comment convaincre les parties prenantes plus opérationnelles, mais là, c’est une autre étape, une autre histoire…

Propos recueillis par overthemoon à l’issue de la seconde édition du Cercle DRH.

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