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Philippe Pasquali : « l’innovation vient bousculer les critères de décision de la direction générale »

8 septembre 2021

Le contexte est mouvant et l’accélération phénoménale nous rappelle Philippe Pasquali, Président de C-Level Advisory, expert du digital et de la transformation. En quoi l’expérience client bouscule-t-elle la notion d’innovation ? C’était la question centrale de notre dernière édition du Cercle CDO à laquelle notre invité du mois a souhaité répondre.

Philippe, qui êtes-vous et qu’est-ce qui vous motive ?

J’ai eu une double formation, ingénieur et école de commerce. J’ai également fait de la recherche en IA dans les années 90 à un moment où elle n’était bien sûr pas aussi répandue qu’aujourd’hui. Côté pro, je suis allé rapidement dans le concret, chez Air Liquide, en travaillant sur les technologies de réseaux locaux qui étaient nouvelles à l’époque. Néanmoins, plus que la technique, ce qui m’attire c’est de maitriser l’outil informatique pour améliorer l’organisation des entreprises.

Je suis notamment motivé par les nouveaux « Business Models » permis par les nouvelles technologies. Comment peut-on générer du business en exploitant telle ou telle idée ? Ça m’a donné envie de bifurquer en intégrant le monde du conseil, en cabinet, pour ensuite monter ma startup dans le trading en ligne. J’ai passé ensuite près de 19 ans chez Société Générale à diverses fonctions autour du digital : conseil auprès de la Présidence, responsable de la stratégie de digitalisation à partir de 2010, puis Chief Digital Officer de SG Bank & Trust.

Fin 2019, j’ai souhaité revenir dans le monde du conseil. Tout d’abord en accompagnant le grand cabinet d’avocats d’affaires Fidal sur les questions d’innovation et de transformation digitale, pendant près d’un an. Puis début 2021 en créant mon propre cabinet, C-Level Advisory. Avec la crise sanitaire toutes les entreprises ont enfin pris conscience de l’intérêt du digital pour développer leur activité. C-Level Advisory les accompagne dans leurs transformations.

Vous avez récemment participé au Cercle CDO avec pour thème : « En quoi l’expérience client bouscule-t-elle la notion d’innovation ? ». Ça s’est bien passé ? Qu’est-ce qui vous a interpelé ? Qu’en avez-vous tiré ?

Ce que j’en ai retenu, c’est que l’expérience client vient bouleverser l’innovation de trois manières. D’abord, elle est un prérequis aujourd’hui pour que le client accepte de passer du temps sur votre site, sur votre offre. Il faut donc particulièrement la soigner, être innovant, percutant, ce qui est compliqué. Ce qui est innovant aujourd’hui deviendra certainement un standard demain. Ce n’est pas simple de se renouveler, cela exige d’être vraiment proactif, agile, rapide, synthétique. Par ailleurs, l’exigence des clients a augmenté de par leur exposition à la concurrence. Cela implique donc d’élever son propre niveau d’exigence.

Deuxième point, vos collaborateurs en interne sont tout aussi exigeants que les « clients ». Donc il faut que votre innovation serve à la fois l’interne et l’externe. Ce qui vient bousculer les process d’innovations qui n’étaient, jusqu’à présent, tournés que vers l’externe.

Enfin, l’innovation vient bousculer les critères de décision de la direction générale. Typiquement, la DG est portée sur le ROI. Dans un contexte qui bouge en permanence, vous n’avez en général pas le temps d’obtenir le « retour sur investissement » attendu. Il faut donc raisonner autrement. Il faut passer de la notion de ROI à la notion de « pertes acceptables ». Quelles sont les pertes acceptables si l’on tente un pari et que ça ne marche pas ? Ça s’appelle l’effectuation. C’est une méthode qui a été utilisée par Airbnb, Blablacar, etc. Cette approche consiste à être très pragmatique, à exploiter ses points forts, à dépenser raisonnablement (perte acceptable), à accueillir favorablement les surprises pour en tirer parti. En résumé : exploiter à fond ses qualités et être capable de réagir vite aux changements.

Comment l’expérience client tire-t-elle l’innovation ? Comment peut-elle être son moteur ?

Je dirais que ce n’est pas le seul sujet, mais c’est un sujet qui est en effet vital. Aujourd’hui, si l’on parle par exemple de l’automobile, il y a eu un premier constructeur qui a lancé une voiture avec écran tactile et on en trouve désormais dans tous les véhicules. On voit bien que l’innovation démarre par un acte isolé puis se répand partout dans la société. Quand Google imagine son outil de reconnaissance vocale et son fameux « Ok Google » pour votre salon, ça atterrit finalement aussi dans votre voiture pour demander un trajet. On était loin d’imaginer tout ça ne serait-ce qu’il y a dix ans.

L’homme se rend compte que les choses vont vite, mais pas que l’innovation accélère. Que la transformation du monde va en s’accélérant. Quand on regarde les grandes innovations industrielles, certaines ont été transformantes en cent ans. On vit désormais dans un monde où Internet a changé trois choses essentielles : la mobilité, le partage et l’instantanéité. Leur apparition a pour conséquence de transformer les usages. Il faut se rendre compte que ces trois variables sont arrivées il y a très peu de temps et transforment toute l’économie. On est sur un rythme de transformation tout bonnement phénoménal. Rappelez-vous qu’il y a cent ans, l’innovation, c’était le chemin de fer, et la voiture était une curiosité.

« On ne va plus investir pour les huit dix ans qui viennent, mais plutôt pour les 18 mois à venir. La prise de risque et la prise de décisions de la DG s’en trouvent modifiées »

Cette accélération est un enjeu pour les entreprises, car il devient de plus en plus difficile de bâtir sur des choses solides. Tout est mouvant. Ce que l’expérience client et l’innovation viennent notamment changer, c’est le fait que les cycles se raccourcissent. Les choses ne sont plus pérennes et doivent changer très vite. La stratégie de l’entreprise doit s’adapter aux besoins du client et du marché. Et le client peut être changeant. On ne va plus investir pour les huit ou dix ans qui viennent, mais plutôt pour les 18 mois à venir. La prise de risque et la prise de décisions de la DG s’en trouvent modifiées. L’expérience client vient modifier le comportement que la DG doit avoir vis-à-vis de l’innovation.

Comment faire monter les équipes en compétences sur ces sujets ?

Il n’y a rien de mieux que de pratiquer. Il faut mettre les équipes en mouvement, qu’elles se frottent à la réalité et tentent d’innover. Réussir ou échouer, mais apprendre en faisant. Leur donner l’opportunité de tester, sans juger ni pointer du doigt. Mettre en place les conditions dans lesquelles les équipes peuvent expérimenter. Le « test and learn » est fondamental. Pour moi, la meilleure manière de se mettre en mouvement est de jouer collectif. Il faut se lancer dans l’aventure et mettre l’innovation au cœur du quotidien des gens.

Les initiatives d’intrapreneuriat sont par exemple une manière de donner leur chance à certaines idées. On vous donne du temps et du budget pour donner corps à vos envies d’entreprendre. L’entreprise à tout à y gagner. Se former aux technos et méthodes nouvelles paraît aussi indispensable, avec idéalement une large part consacrée à la pratique.

« Il faut aussi engager le client dans la démarche d’innovation. D’où la notion de MVP qui s’impose désormais face au POC »

Il faut aussi engager le client dans la démarche d’innovation. D’où la notion de MVP qui s’impose désormais face au POC. Le MVP est produit, vendu, et est confronté au marché. Le POC, lui, ne se confronte qu’à la direction. Avec un MVP vous engagez les gens et obtenez un vrai retour du marché vis-à-vis de votre produit. À partir de là vous êtes à même d’avancer, de pivoter ou de poursuivre sur votre vision initiale.

NDLR : POC = Proof of Concept ; MVP = Minimum Viable Product

Quel est le rôle joué par la collaboration dans la démarche d’innovation ou d’adaptation ?

La résistance en interne est énorme. Les gens en place vont défendre leur poste, car se remettre en question est loin d’être évident. On est aussi souvent persuadé d’avoir raison et tenté de se rapprocher de personnes qui pensent à peu près comme nous. Même chose pour celles qui pensent différemment. Ça aboutit à des clans au sein de l’entreprise. Personne n’a ni tort ni raison bien sûr, il faut faire en sorte de mixer tout ça afin qu’il en sorte quelque chose de positif pour tous.

Je pense que pour mieux travailler ensemble sur ces sujets il faut un élément extérieur qui vienne animer, reformuler et orienter les débats. Avec un acteur extérieur, on peut aller un cran plus loin. En ayant créé ma société, je cherche aujourd’hui à être l’élément perturbateur qui va faire que la vérité ou les idées vont ressortir. Si vous le faites en interne, c’est compliqué, vous pouvez vous retrouver avec un boulet au pied pour les trois ans qui viennent avec des affrontements internes et des bras de fer stériles… Depuis l’extérieur, vous avez le droit et même le devoir d’aller plus loin. Aussi, vous amenez vos propres expériences, différentes des expériences vécues par l’entreprise. Typiquement mes clients me demandent souvent « mais comment font les autres ? ». Il n’y a pas de solution toute faite, chaque cas est particulier, mais chaque entreprise doit mettre en place les conditions de succès qui permettront aux différentes idées de s’exprimer avec un processus conduisant au choix de la meilleure d’entre elles.

« Ce sont les équipes qui doivent innover et faire émerger les idées »

Il faut mettre un dispositif en place pour que l’innovation soit valorisée dans l’entreprise. En faire un objectif pour chacun. Et accepter de se tromper. L’erreur est un fait qui génère de la valeur. Il vaut mieux se tromper tôt que se tromper tard. Mettre en place un Lab par exemple, c’est très bien, mais il ne doit pas être l’incarnation de qui doit innover. Toutes les équipes de l’entreprise doivent s’approprier le Lab, innover et faire émerger les idées. Le patron du Lab, le cabinet-conseil, le consultant extérieur, ne sont que des facilitateurs.

Propos recueillis par overthemoon à l’issue de la cinquième rencontre du Cercle CDO.

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