Nous sommes en 1999. Je travaille au sein du groupe Danone, pour sa filiale basée aux États-Unis. J’y rencontre un Québécois, comme moi fraichement arrivé sur le territoire de l’oncle Tom. Il s’appelle Daniel et est le patron des achats de matières premières. Or, nous sommes de gros acheteurs de billes de PET, matière utilisée pour souffler les bouteilles plastiques d’une eau de source produite dans les usines implantées un peu partout sur le continent, de la Floride à Montréal et jusqu’en Californie.
Nouveaux élus d’un statut de contrat local (les expatriations à grande envergure venaient de prendre fin), le hasard d’une rencontre nous amène à devenir colocataires. Le soir nous rentrons tard, nous mangeons sur le pouce et passons pas mal de temps à nous raconter nos journées.
Je découvre un collègue qui me raconte que son métier d’acheteur, contrairement aux aprioris, n’est pas de « casser le bras » des fournisseurs, mais de chercher avec eux et avec leurs propres fournisseurs des pistes de performance partagée. Et pour cela, de réfléchir à ce qu’il faut améliorer tout aussi bien chez nous que chez eux pour gagner ensemble et partager le gain.
En d’autres termes, son métier consistait donc à faire se rallier les différentes équipes et à chercher ensemble les améliorations possibles pour chacun en vue de gains communs, au premier rang desquels les nouvelles expertises dégagées grâce à ce travail collaboratif… une mise en application concrète de ce que peut être la création de valeur partagée.
Daniel a été reconnu à deux reprises pour son travail dans le domaine de l’approvisionnement et sa vision innovante qui a contribué à faire vivre les valeurs et la mission du groupe Danone.
Il fût mon idole, je ne vous le cache pas !
Les raisons de son succès ? J’en vois trois…
- Il a vu avant bien d’autres que la création de valeur partagée est un levier durable de performance, car portée par un sens commun : faire progresser ensemble un système partagé.
- Il a adopté une approche systémique. Il ne s’agissait pas de concentrer le travail sur la seule matière PET de la bouteille, mais de l’étendre à l’ensemble de la supply chain, du produit semi fini au produit fini. Cela impliquait de mener l’exercice avec tous les acteurs de cette chaine étendue.
- La valeur générée était partagée entre les parties contributrices car chacun gagnait sur les deux tableaux : sa propre performance interne et celle créée pour l’ensemble du système.
Alors oui, je m’interroge…
Comme on dit « j’ai vu l’ours », j’ai vu et vécu personnellement, il y a plus de 20 ans, cette fameuse ère de la création de valeur partagée… Comment expliquer que cette pratique vertueuse et innovante ne se soit pas viralisée ? Daniel était en avance sur son temps porté heureusement par nos dirigeants de l’époque qui avaient aussi compris que cette voie était la bonne… celle du Gagnant-Gagnant.
Florence Cathala